LA PHARMACOPEE ET LE GESTE : DANSES D’HIER ET AUJOURD’HUI
Séminaire International : Danse, Guérison et le Sacré en Afrique
Jean Ondeno Rebieno
Auteur – Compositeur – Interprète, Tradi thérapeute
Libreville, Gabon
Origine
Au commencement était l’émotion. L’émotion suscita une expression dite corporelle. De l’expression corporelle sortirent les pulsations qui elles, engendrèrent des pulsions. Les pulsions donnèrent au corps une folle envie de s’exprimer autrement que par l’usage de la parole. Puis le pied commença à battre la mesure, pour imposer une cadence. Le rythme était né. Enfin, se leva l’homme qui commença à extérioriser ses sentiments par des mouvements chorégraphiques dans l’espace. La danse était née.
Qu’est-ce que la danse ?
Apparentée aux gestes de la vie quotidienne, la danse est un moyen d’expression par lequel l’homme utilise des battements de mains, des frappements de pieds, puis enfin, des instruments pour s’accompagner afin d’exprimer des sentiments intérieurs par des mouvements dans l’espace.
Né du silence, le son serait la première chose que l’humanité ait connue avant toute existence. Le verbe étant une émanation de celui-ci. Ainsi, selon toute vraisemblance, la peur serait à l’origine du premier pas de danse exécuté inconsciemment par l’homme, pour se donner du courage face à l’inconnu et à cet environnement qui lui est hostile et qu’il ne maîtrise pas toujours.
En Afrique, la danse traditionnelle tire ses origines en général de la forêt, de la savane où l’on rencontre toutes espèces d’animaux ou d’oiseaux. Observation profonde et minutieuse faite par l’homme afin de s’identifier et imiter le comportement particulier d’un lion, d’une panthère, d’un léopard ou d’un aigle. Animaux comme les oiseaux ou ayant une agilité (singe, écureuil, etc.…) ayant une ascendance ou une domination établie sur les autres espèces,
De cette observation proviennent les premiers danseurs qui sont les acrobates, les jongleurs, les funambules,.… Puis plus tard, la danse se stabilisera, s’anoblira. En fait la danse démontrera tantôt sa fougue et sa verve, tantôt sa grâce et son élégance. Ainsi nous connaissons une multitude de danses dont certaines sont :
- Les danses guerrières
Au Gabon, les danses guerrières étaient un ensemble de mouvements thérapeutiques du corps et de l’esprit généralement rythmés et exécutés par un groupe d’individus armés et dont la chorégraphie, les chants et les slogans précédaient ou laissaient deviner un affrontement. Pour cela, les guerriers se badigeonnaient de mixtures composées d’écorces de bois rouges et noirs réduits en poudre et mélangées à d’autres recettes ayant pour but de les doper afin de faire disparaître en eux la peur et la pitié, et d’autre part les protéger, les préserver ou les immuniser contre les armes de l’adversaire. Ces recettes faites des mixtures de plantes, et parfois d’ossements pouvaient servir soit de « vaccin » pour avoir de l’agilité, soit de breuvage pour la transcendance ou encore ignorer la peur et rendre les guerriers invincibles, voire invulnérables contre les épreuves de toutes les armes (balles, sagaies, flèches, machettes…)
Il fallait pour cela une complète abstinence sexuelle afin que l’esprit du guerrier soit en parfaite harmonie avec son corps. Une alimentation stricte et rigoureuse était conseillée et la préparation de celle-ci faite uniquement par des femmes n’ayant plus de relations sexuelles ou par de grands initiés.
Les grands esprits guerriers et protecteurs de la famille, de la tribu étaient invoqués au cours de cérémonies ou rituels sacrés et secrets. Le caractère secret de tout ceci ne devait être divulgué sous aucun prétexte.
Le maquillage effrayant devait rappeler un animal féroce ou un oiseau vorace « totem » du clan, de la tribu ou de la famille.
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- Les danses funèbres
Rituel souvent exécuté au sein de sociétés secrètes du Gabon, les danses funèbres peuvent être organisées lors du décès d’un initié, ou dans une moindre mesure, lors du décès d’un jumeau ou d’une jumelle. Les rituels peuvent varier selon la société secrète dans laquelle avait été initiée la personne décédée. Dans le Bwiti « Disumba » par exemple, au cours d’un rituel bien particulier, il est donné à la personne décédée et enterrée depuis un moment, de se matérialiser et revenir auprès les initiés de sa confrérie, danser pour la dernière fois avec eux dans le corps de garde (La Mbanja), en présence de l’assistance éberluée et ébahie.
Rituel insoutenable pour certains membres de la famille, il leur est demandé néanmoins de s’abstenir de pleurer, et cela, pendant tout le temps que durera ledit rituel. Seul les grands initiés auront le droit d’approcher et même de lui demander de s’exprimer, si ces derniers le désirent.
Ce rituel rare ne se passe que la nuit et est appelé « Bwete amwenge » (deuil). Il est accompagné de battements de trois ou quatre tambours appelés « Ndungu », pour le tambour jouant les solos, tambour représentant le mari ; le « Mobenda » qui représente la femme et les deux « Misumba » représentant les deux enfants.
- Les danses initiatiques
Les danses initiatiques sont, de nos jours, un ensemble des mouvements constituant un rituel dans lequel, à travers des chants, des gestes et une chorégraphie codifiée et particulière, on fait accéder un profane à un nouveau groupe d’appartenance, en lui révélant à travers ladite chorégraphie, les rudiments de la connaissance de cette société secrète à laquelle il va désormais appartenir. Le nouvel initié est accompagné en général de son parrain et de son maître spirituel qui le guide dans ses premiers pas et enseignements par. A ce premier rituel, le nouvel initié ne comprend généralement rien de toute ce qui se dit et se fait, mais doit néanmoins non seulement être associé mais exécuter ce rituel qui est une thérapie et une forme d’acceptation de l’ensemble des traitements qu’il aurait reçus pendant son initiation.
La quasi-totalité des danses initiatiques traditionnelles du Gabon ne peuvent se faire sans l’apport du feu qui est, comme l’eau, un élément sacré et purificateur. Car, dans notre monde ésotérique, le feu est la représentation matérielle de Dieu le créateur.
- les danses courtisanes
En Afrique centrale en général et au Gabon en particulier, la chorégraphie de la femme doit refléter sa fémininité et sa grâce et, généralement, la partie postérieure de cette dernière est largement et souvent mise à contribution pour magnifier la fécondité, alors que pour l’homme, sa puissance, son agilité et sa virilité priment. Nous remarquerons qu’au cours d’une danse, tandis que la femme s’emploiera à faire bouger son postérieur, l’homme, quant à lui, cherchera toujours à simuler l contact avec la partie postérieure de la femme. Et d’ailleurs, dans certains rites initiatiques, la simulation de l’acte sexuel est présent et parfois obligatoire dans la chorégraphie des initiés qui à leur tour s’emploieront à les faire exécuter aux jeunes initié(e)s. La quasi-totalité des ethnies du Gabon ont au moins une danse courtisane, danse dont la chorégraphie exécutée par une personne se trouvant au centre du cercle et qui, après quelques pas d’exhibition va inviter une personne de sexe opposée en simulant un acte sexuel.
A l’exemple du Mabumi (Massango), Ekunda (Myènè), Malamu (Lumbu), Elone (Fang) , Ikoku (Punu) etc….ces danses dites courtisanes peuvent également avoir un caractère rituel (cérémonie des jumeaux) dans laquelle des chansons grossières sont souvent associés à une chorégraphie les expliquant. Elles peuvent être ou faire partie d’un rituel initiatique, d’un rituel faisant partie d’une danse funèbre.
Cette chorégraphie peut prendre des allures d’une danse de provocation pour une danse guerrière ou une danse de réjouissance ou profane.
- Les danses rituelles
Les danses rituelles sont en général des danses exécutées pour les circonstances particulières (jumeaux, offrandes, etc….) et dont l’ensemble des mouvements et comportements sont généralement codifiés. Ces mouvements et comportements sont fondés sur la croyance et l’efficacité de leurs effets qui peuvent souvent se répéter. Ces cérémonies rituelles peuvent se faire avec ou sans tam-tam, mais rien qu’avec des chants appropriés qui peuvent le maître des cérémonies à exhiber parfois quelques pas de danse. Chorégraphie se rapportant à une situation précise, un animal précis ou un comportement.
- Les danses profanes, danses de réjouissance et danses modernes
Les danses de réjouissance sont, en général, un ensemble de mouvements de corps généralement rythmés et cadencés, exécutés par un individu ou un ensemble d’individus, et dont la chorégraphie exécutée est libre et ne fait pas partie d’un rite particulier.
Puisées généralement dans les danses traditionnelles, les danses modernes deviennent souvent des phénomènes de société, et contribuent à exprimer un sentiment de joie, de désir de répulsion….
De nos jours, elles peuvent traduire également des contestations, des problèmes d’environnement, de pauvreté, ou dénoncer même une oppression.
A travers elles, l’homme dévoile une facette de sa personnalité. L’homme ne peut vivre sans la danse, en un mot, sans le rythme. Ce rythme qui, associé à certaines sonorités deviennent la musique, cette musique qui est notre partenaire de tous les temps et qui, sans elle, le monde n’aurait aucun sens.